Au risque de communiquer

Il y a les Compagnies qui soignent leurs affiches et celles qui se retrouvent sur les supports visuels de festivals qui les programment; celles qui mettent les moyens technologiques au service de leur dramaturgie promotionnelle, se filmant à l’aide d’une «go pro» ou d’un drone; celles qui refusaient de se plier au cirque médiatique et qui aujourd’hui acceptent d’alimenter une page Facebook… mais juste pour le spectacle; celles qui n’ont pas besoin de passer à la télé pour remplir leur cuisine… et toutes celles qui galèrent à en sortir !

Communiquer au XXIe siècle sur un spectacle de cirque révèle des enjeux bien plus subtiles que ceux, déjà épiques, de dépasser les stéréotypes du secteur. Or certains spécificités de cette culture de « l’exploit qui doit être montré » méritent une attention particulière car elles font partie intégrante d’une identité. Elles soulignent le chemin entre les artistes et les publics afin que le cercle s’installe et les relie.

Pascaline Photography Paléo 6

D’abord vient un mouvement, un geste, une trajectoire. Puis le risque calculé se fait prouesse avant de revenir à l’équilibre. Le spectacle se construit de ces essais. Il ne s’explique pas, il se montre. Le jargon circassien est d’ailleurs un langage codé pour initiés. Quand un artiste de cirque s’exprime, il parle d’agrès et d’enchainements de figures. Alors que le public, qu’il soit spectateur ou pouvoir subsidiant, cherche une histoire à laquelle se raccrocher. Il est pourtant bien là, ce récit qui unit l’espace d’un temps et le temps d’un espace. Il contient en lui tout ce qu’un graphiste, un webmaster, un community manager, un chargé de diffusion, etc. a besoin pour faire à son tour parler son art. Communiquer sur le cirque, ce serait tout d’abord apprendre à traduire en mots ces corps en mouvement. Et capturer non pas un exploit mais une image qui contient des informations sur celui-ci.

Les arts de la rue partagent avec la révolution des smartphones une caractéristique indéniable: ils sont mobiles. Si leurs réseaux s’opposent, tant les uns vivent de ce contact direct avec les êtres alors que les autres se nourrissent d’une médiatisation digitale de nos relations, leur mobilité impose les outils de communication adaptés. On ne parle pas ici d’une troupe de comédiens en représentation pour plusieurs semaines dans un théâtre public. On est bien loin d’un film qui cherche ses entrées à coup de bandes annonces à répétition. Et on n’a pas encore réussi à dématérialiser les acrobaties comme les répertoires des groupes de musique. Non, le cirque a ceci de particulier qu’il ne résiste pas longtemps au nomadisme. Artistes comme spectacles voyagent, traversent les frontières, et imposent au communicateur de concevoir des supports capables de bouger avec eux. A chaque nouvelle date de représentation équivaut un nouveau public à conquérir. On ne joue souvent qu’une ou deux fois dans la même ville. Puis on replie bagage et merchandising. Difficile dans ces cas-là de fidéliser sa « fans base » ou d’espérer la rendre homogène. Géographiquement éloigné, aux réactions changeantes selon les latitudes, le public n’aura qu’un point de repère commun: les exploits, présentés à tous comme similaires.

Artistes mobiles, public dispersé, communication directe et visuelle… Communiquer sur un spectacle de cirque, c’est connecter le monde comme peuvent le faire les réseaux sociaux. Mais en offrant bien plus qu’un canal de diffusion et des commentaires sponsorisés. En partageant ses émotions, ses découvertes, ses rencontres et ses plaisirs. C’est remercier chaque jour le public comme si c’était la première fois. L’aider à comprendre un peu mieux ce qui poussent les artistes au risque, et lui en faire prendre un peu en vous recommandant à ses amis. Car on n’invite pas ses amis sous un chapiteau, mais ses petits cousins. Alors oser dire aujourd’hui « J’aime le cirque » est un pas de clown dans la bonne direction. Et une campagne de communication à réfléchir pour un secteur toujours en quête de visibilité.

 

Photo: Cie Les P’tits Bras